La question du monde rural
1. Le transfert du logement social dans le monde rural
La question centrale qui préoccupe aujourd’hui est : peut-on transférer le model du logement social urbain au mode d’habitat rural ou pas ?
Si cela s’avère légitime, tangible et intelligible, cela voudrait dire que le rural et l’urbain partagent les mêmes affinités culturelles et les mêmes préoccupations urbaines, celle du vivre ensemble pour un monde meilleur et on ne peut en aucun cas les séparer, bref, ils partagent pour ainsi dire la quête perpétuelle de l’urbanité dans sa profonde genèse de la civilisation.
2. Le logement social et l’urbanité dans le monde rural
Le rural est en théorie un urbain qui se cherche dans les méandres du confort incertain de la vie citadine, il possède aujourd’hui presque les mêmes ingrédients du développement urbain, des pistes rurales, plus au moins goudronnées, reliées à des routes départementales ou à des routes nationales voir mêmes aux autoroutes, des téléphones portables, la télévision, l’électricité, l’antenne parabolique, l’habitat en taule ou en dure, les mêmes informations au quotidien des événements politiques mondiaux ; une sorte de mondialiste malgré lui.
Ce qui change en prince entre les deux concepts c’est la perception du paysage qui compose les deux entités, rurale et urbaine dans le sens où le paysage rural est ouvert et qu’il est grandeur nature, tandis que le paysage urbain est massif et dense et que par ailleurs le mode d’occupation des sols des deux entités renferme des usages différents et contradictoires en matière d’emploi et de création de richesse.
Ainsi, dans le monde urbain, pour le tertiaire, il faut 10m² pour créer un emploi, 100m² pour en créer dans une usine, et 1ha pour en créer un dans le monde rural.
Ceci amène à la création de richesse en fonction de la densité d’occupation des sols et à la disponibilité et à l’abondance foncière.
On dit souvent que le rural nourrit littéralement et malgré lui l’urbain depuis ses terres agricoles et ses cultures et on exhorte aujourd’hui l’urbain de satisfaire ses besoins de subsistance pour épargner les écosystèmes et la biodiversité des générations à naître.
Peut-on affirmer avec beaucoup de conviction que le salut de l’urbain est dans le rural et que ce dernier, déjà pauvre et dans la mouise par essence, possède la baguette magique pour la création de la nouvelle classe moyenne qui fera vivre l’urbain et qui le sortirait de sa misère ?
Les disparités de richesses entre l’urbain et le rural sont incommensurables, il y a un rapport de 1 à 100, cela peut même se confirmer dans la transformation de la valeur vénale d’un sol
rural en un sol urbain dont on a acheté les terrains à 20 dhs et qu’on les a vendu à 2000 dhs, une fois que le plan d’aménagement est passé par là.
3. L’export du logement social dans le monde rural est-il une chimère ?
Le phénomène de ghettoïsation généré dans les périphéries des villes, là où, pour répondre à la demande quantitative du logement, on a cherché, très loin des équipements structurants existants, des terrains agricoles à moindre couts.
Car le prix de la construction est le même partout au Maroc et ce qui fait la différence pour la promotion de ce type de logement est le cout très bas du foncier loin des préoccupations des occupants et usagers de ce type de construction.
Ainsi, la péréquation recherchée de résoudre la problématique foncière au Maroc a mis à terre le monde rural.
En effet, la rareté du foncier mobilisable en milieu urbain a poussé les opérateurs à acquérir à bon marché des terrains agricoles et à les transformer en logements sociaux à partir d’un minimum requis de 500 appartements sur 2 hectares pour augmenter la marge bénéficiaire.
Ceci a pour conséquence, un paysage éclaté et morcelé, un urbanisme en taches d’huile et un démantèlement des centres ruraux qui sont les futurs noyaux des villes de demain.
Ces territoires où on a donc créé des non lieux, des bombes latentes, des bétonvilles, des lieux où on a entassé sans fin des populations, dont le seul tort est qu’elles soient défavorisées…
Or, le logement social au Maroc qu’est devenu un contresens social contre le marocain, l’est aussi contre sa culture, contre son paysage, contre sa grandeur civilisationnelle et patrimoniale de ses médinas, de ses ksours, de ses villages en terre du Sud, etc.
Alors, peut-on continuer à croire que le salut du monde rural réside dans le transfert de la contagion incurable du virus anti urbain qu’est le logement social et l’autoconstruction ?
Dans ce sens, peut-on continuer à penser que l’export du logement social urbain dans le monde rural est la solution à ce nouveau modèle de développement du Maroc ?
4. Le monde rural, ce laissé pour compte
On comptabilise plus de 70% de marocains qui vivent dans la conurbation urbaine entre Tanger et Essaouira le long de l’atlantique, au détriment du Maroc historique et inutile selon Lyautey.
Alors, peut-on inverser la vapeur et la tendance en ce début du 21ème siècle et imaginer un développement rural qui prend en compte l’ancrage historique du Maroc le long de son épine dorsale montagnarde comme décrit précédemment ?
Cela peut se faire par une autoroute doublée de lignes ferroviaires de Nador à Assa en passant par les crêtes du Rif, du moyen, du haut et l’Anti-Atlas, jusqu’au désert, là où les paysages marocains sont les plus spectaculaires et les plus époustouflants et qui attirent plus de 70% des touristes.
Cette nouvelle artère montagnarde peut être associée à celle de l’axe atlantique par des liaisons perpendiculaires et à leurs jonctions, on pourrait envisager des villes nouvelles à vocations territoriales comme chefs-lieux en compléments des existants.
La fin du village marocain
Depuis la mise en oeuvre du remembrement de Napoléon au 17ème siècle pour la création de villages compacts, il est connu à travers le monde, que ces villages sont devenus par la suite les noyaux des villes historiques et contemporaines.
Et, si on allait encore plus loin, en Mésopotamie, en bord du Tigre et de l’Euphrate, lorsque l’homme était chasseur cueilleur il y a douze mille ans, et que lorsque ce dernier n’avait plus rien à chasser, et qu’il s’est retourné vers la nature pour l’imiter et que par voies de conséquences, il s’est sédentarisé en créant des villages qui se sont développés plus tard en de véritables villes en bord de la Méditerranée.
Toute cette plaidoirie est pour ainsi dire, qu’il faut revenir à la création de villages, noyaux des futures villes et qu’il faut remettre en question tout l’héritage du vingtième siècle en particulier le cadre juridique de certaines lois obsolètes décrites précédemment, la loi 12 90 et 12/95, qui permettent au rural d’habiter sa parcelle et que le minimum parcellaire de 2ha avec un maximum de 500m² couvert…
Encore, une fois de plus, ce sont les urbains qui imposent leurs modèles de développement aux ruraux pour créer leurs villégiatures secondaires en milieu rural tout en détruisant le devenir du monde rural dans des villages compacts et ce depuis le début du vingtième siècle.
On a tous en tête le séisme d’El Hoceima, où, 15 jours plus tard, on comptait encore des morts car leur habitat était dispersé.
On connait aussi l’électrification du monde rural et la dette engendrée la dette colossale de l’ONE et qui a acheminé l’eau et l’électricité à chaque habitat dispersé au lieu et place de l’utilisation du photovoltaïque…
On connait également l’urbanisme de mitage et en tache d’huile du monde rural engendré par ce phénomène d’habitat à la parcelle, et que, lorsqu’on trace une autoroute on coupe, dans la plupart des cas, cette parcelle agricole en deux, en séparant l’habitation de l’exploitation, ce qui a provoqué des accidents mortels et incalculables liés aux traversées souvent par des bergers et leurs troupeaux.
En définitive et suivant la règle architecturale, la conception d’un village compact se fait de façon concentrique, où on concentre les équipements dans son centre et les habitations autour avec rayonnement et ouverture sur le paysage agricole.
Par ce fait géométrique extraverti, on ne limite pas les parcelles, on les laisse, en revanche, s’étaler vers l’arrière-pays en fonction des besoins d’expansion et du pâturage.
Dans ce sens, rien n’oblige alors de tout référer au logement social, on peut imaginer des mixités sociales, des équipements de qualité pour le tourisme rural, bref on peut prévaloir des lieux où il fait bon vivre et travailler de façon spécifique.
Ceci peut se faire par les procédés de l’analyse inventive en décomposant le paysage dans le temps pour mettre en exergue les invariants, les événements historiques, les lieux-dits, les héros de passage, etc., qui ont marqué ou qui ont créé ces lieux en forgeant l’identité collective dont l’objectif est de les mettre en valeur sous de nouvelles formes contemporaines par les outils environnementaux de l’architecture endogène…
Rachid Haouch, architecte, urbaniste et paysagiste dplg
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