La troisième ville marocaine
La médina marocaine entre mythes et réalités
1. La genèse
1.1 La médina dans la ville moderne et dans la dialectique du sauvage
Le concept de médina ou de Cité chez les Grecques remonte à Aristote.
Celui-ci a défini la géométrie du cercle comme la plus adéquate pour générer la forme la plus parfaite de la cité.
En effet, tout doit s’articuler autour du centre qui est le point d’équidistance le plus parfait. S’approcher donc de ce point de convergence, c’est être plus proche des divinités. De ce fait, la périphérie articule le sauvage et engendre les métèques et les hommes imparfaits.
Ainsi se définit la cité d’Aristote dont le périmètre est la membrane et l’enceinte qui isole la Cité de la sauvagerie du dehors et qui engendre la civilisation du dedans.
1.2 Le monde Chrétien
La ville Chrétienne a adopté sans hésitation le concept de Cité d’Aristote.
En effet, le cœur de celle-ci est l’Eglise dont l’architecture est un ensemble d’emboîtement de coupoles jusqu’à la flèche.
La base de l’Eglise renferme donc le lieu des moines, celui de la prière, la première couronne décrit les apôtres du Christ, la dernière coupole, là où est placé la croix renferme la sculpture du Christ crucifié, la flèche indique enfin la terminaison et l’evoi du message vers le ciel.
Ainsi, Rome s’est placée au centre du monde et que tous les chemins mènent à Rome, à l’image de l’homme, une création Divine qui est au centre de l’univers.
1.3 Le monde Musulman
La ville Musulmane ou médina qui veut dire la cité, est l’héritière de la ville Chrétienne.
Elle a adopté aussi par voie de conséquence le concept de Cité d’Aristote.
Elle renferme une enceinte symbolique et non défensive.
Le cœur de la médina est par définition la mosquée, dont l’architecture primaire, avant sa construction était une grande place publique spécialisée.
La mosquée structurait donc toute l’agglomération urbaine dont le minaret formait le seul « Sky Line » qui jaillit au-dessus de la muraille et de la blancheur des bâtiments.
Ce nouveau concept urbain, basé sur le cercle est obligatoirement circulaire ou radioconcentrique et en mouvement autour de la mosquée.
2. La morphogenèse
2.1 L’urbanisme Almoravide et Almohade
L’urbanisme initial de la médina est d’origine Romain, il est théorisé à prime à bord par les Almoravides et puis il est réalisé et concrétisé par les Almohades.
Il se conçoit au départ par le choix et l’emplacement du coeur de la mosquée et par la suite par la construction de la muraille et ses portes.
Le centre précis de la médina fera référence au Paradis et à l’eau et sera le lieu de l’ablution, il renfermera alors le coeur du Jardin d’Aden…
Ainsi, à l’image du Jardin initial hérité des Perses, la médina primaire était une simple division géométrique suivant les quatre directions des points cardinaux en direction des lieux-dits.
Et de ce centre, à des distances d’un tiers et de deux tiers de part et d’autre suivant les proportions du rectangle d’or, se dessinent quatre portes qui indiquent les directions des comptés principales.
Ainsi, la médina se développe et se densifie à l’intérieure de son enceinte pendant plusieurs siècle, suivant plusieurs directions tout en préservant ses jardins de subsistances : Al Aarça, Jnane, Al Faddane, Al Boustane, l’Aguedal, etc.
2.2 Le concept de «médina jardin» ou de «cité jardin»
La configuration de la médina se fait à raison d’un tiers de surfaces bâties contre deux tiers de surfaces pour les jardins.
Ainsi, le bâti renferme aussi un élément différentiel et structurant se référant au Paradis dénommé le Riad.
Ce dernier, à échelle humaine, représente les quatre fleuves de ce Paradis perdu.
Le Riad est donc l’élément moteur de la différentiation social, il renferme des surfaces allant de 5 m ² à des Riads de plus de 2 hectares.
Ces fleuves symboliques sont des allées convergeant vers une fontaine.
2.3 La composition urbaine de la médina
Après la construction de la mosquée et de l’enceinte, des divisions parcellaires se mettent en place pour être distribuer aux chefs de famille de la population qui compose les tributs de la dynastie triomphante.
Ainsi, la distribution se fait de la manière suivante : les notables, les maîtres d’école, le Caïd et les métiers nobles comme les joailliers, etc., seront limitrophes de la mosquée et les métiers dégradants comme les tanneurs sont renvoyés en périphérie de la médina.
De même, les cimetières sont orientés à l’Est en dehors de la muraille.
Cependant, après la chute de la dynastie en place, une autre enceinte plus grande est construite par le nouveau pouvoir englobant l’ancienne.
Ainsi, les murailles et les cimetières intra-muros permettent de dater les médinas en fonction du temps.
Par ailleurs, les Derbs représentent des impasses arquées qui appartiennent au chef de famille.
Les souks et les fondouks sont aux portes de la ville pour recevoir et intégrer les ruraux.
Ainsi, la médina est bipolaire, elle sépare le sacré du profane.
2.4 L’évolution urbaine de la Médina
L’élément initial de composition urbaine de la médina est le Derb.
Chaque Derb (impasse) abouti à une Zanqa (rue), elle-même aboutie à une Sahat (place).
L’ensemble, Derb, Zanqa et Sahat constitue Al Houma, le quartier.
La densité urbaine dans la parcelle familiale se fait à l’intérieur des murs de clôtures en fonction des héritiers et l’évolution de chaque famille.
3. La grandeur de la Médina
3.1 Les enjeux et les objectifs de la médina
L’objectif premier de la médina était la création de l’ordre urbain et la genèse de la civilisation urbaine.
Elle était le moteur de l’assimilation et de l’intégration progressive des ruraux.
Elle était le lieu du pouvoir et du savoir.
Elle s’implante en belvédère pour dominer le paysage et elle rayonne au-delà de son territoire en exportant son modèle de civilisation.
Cependant, depuis la chute de Grenade, la médina n’est que l’ombre d’elle-même.
L’urbanisme moderne, commencé depuis le 17ème siècle et achevé au 20ème siècle, l’a sérieusement remise en cause.
Ainsi, l’avènement de la ville hygiénique, des réseaux, des avenues, des grands boulevards et de la voiture a affecté définitivement le concept de médina.
Et, tout au long du 20ème siècle les médinas sont devenues des abris pour les ruraux, les sans-logis et un cache misère sociale.
4. L’artialisation des Riads
4.1 La médina comme œuvre d’art inachevée
Le congrès des urbanistes à Paris en 1996 a classé la forme urbaine de la médina comme la plus aboutie pour répondre à l’urbanité à l’échelle humaine et environnementale.
Cependant, la ‘Jet Set’, fuyant l’urbanisme moderne, s’est trouvée dans la médina un havre de paix exotique et un trésor architectural inestimable.
La médina est devenue donc un objet de convoitise et de spéculation immobilière effrénée de la nouvelle bourgeoisie marocaine et étrangère.
Par similitude, un authentique Riad est devenu comme un tableau de peinture de référence qui prend de la valeur en fonction du temps, une fois restauré et valorisé…
5.Le kitch architectural
En dehors de son contexte historique, le concept de médina est devenu un kitch architectural dans la ville marocaine moderne comme à Tamesna ou ailleurs.
On y a construit des médinas sans âmes et sans référents urbains, c’était juste des actions pour le plaisir du marketing territorial.
Par contre, les villes nouvelles européennes ont mis les médinas en perspective pour y faire converger leurs boulevards et leurs avenues.
Elles sont mises à distance et elles sont devenues des toiles de fond fermant les perspectives urbaines comme l’avait ordonné Lyautey.
A part, l’expérience non aboutie des Houbous à Casablanca réalisés pour les indigènes à l’occasion de l’exposition universelle à Marseillais en 1928 par les architectes Laprade et Cadet, on n’a pas tenté véritablement de ressusciter le concept de Médina.
Cette nouvelle expérience a introduit la voiture et a légué aux oubliettes la notion structurante des enceintes…
La médina et la ville moderne, une symbiose pour une troisième ville
1. Complémentarité et antagonisme
Le Derb est par analogie l’impasse dans la ville moderne, la rue est Zanqa, Sahat est la place publique, Al Houma est le quartier, etc.
Ces éléments forment les ingrédients urbains communs à la médina et à la ville moderne.
Ces entités issus de la cité d’Aristote ont évolué différemment, mais ont gardé les mêmes racines urbaines.
Cependant, la ville du 21ème siècle sera obligatoirement hybride, durable est à Haute Qualité Environnementale.
Elle doit donc allier : urbanisme traditionnel et urbanisme moderne dans un dosage subtil maîtrisant l’écoconstruction, l’écogestion de l’eau, de l’énergie, des déchets, des déplacements urbains, du confort, de la santé et de maîtrise managériale des espaces publics, etc.
2. Persistance comportementale des caractères de la médina
Si l’avènement des réseaux et de la voiture du 20ème siècle ont signé la fin du concept médina au Maroc, il est important de comprendre que le comportement du Marocain reste lié intrinsèquement et de façon anthropologique à la phylogénie de l’héritage de la médina.
En effet, au départ des Français, les nouveaux occupants des villas ont transformé ces dernières en les marocanisant et en leur rajoutant des patios, des zelliges, des fontaines, des salons marocains traditionnels, des murs de clôtures à la place des haies, etc.
De même, les Marocains qui ont habité les immeubles, ils les ont transformés à leur guise en fonction de l’apport de leur culture initiale.
On assiste alors au non-respect du vivre ensemble et à l’introduction du salon marocain, à la fermeture des balcons et à leur utilisation comme sèche-linge, pour débarras ou pour accueillir le mouton lors de la fête de l’Aïd, etc.
Ce transfert comportemental enfoui dans le subconscient du Marocain et hérité de la Médina continue à survire par voie de transformation, de transfert et de domestication d’un autre lieu issu d’une autre culture de nature antagoniste et contradictoire…
3. La troisième ville marocaine
L’artisanat Marocain représente plus de 8% du PIB au Maroc et il est concentré dans les tissus traditionnels avec plus de 2.4 millions d’artisans représentant des métiers de proximité et plus de 20% de la population marocaine active.
Par ailleurs, la réhabilitation en cours des médinas renforcera sans outre mesure ce secteur.
Cependant, la Médina qui a plus de 3000 ans d’existence est reléguée aux oubliettes de l’histoire par les planificateurs depuis plus d’un siècle au détriment des nouveaux apports contradictoires et antagonistes de la ville européenne qui a à peine 60 ans.
D’autant plus que le Marocain porte en lui les stigmates indélébiles des germes phylogéniques qui sont enfouis dans son subconscient et qui lui servent de guides, de repères et d’outils de transformation et d’adaptation des espaces urbains et architecturaux du monde occidental où il évolue.
Ainsi, le concept Médina reste et restera le fondement anthropologique ancré dans l’évolution comportementale du Marocain dans tout type d’espace où il évolue et dont il faut retrouver ses caractéristiques conceptuelles et les mettre en exergue de façon contemporaine…
Si par ailleurs, la Médina est considérée comme une cité classée en haute qualité environnementale par son appropriation des référentiels de l’écoconstruction, de l’écogestion de l’eau, de l’écogestion de l’énergie, de son écogestion des déchets par les tris chez les marchands ambulants et par sa compacité et ses modes économiques en déplacements, il est temps de la ressusciter et de la faire naître de ses cendres…
Ainsi, la Médina de Fès considérée comme l’espace piétonnier le plus important du monde sur une superficie globale de 200 hectares devrait servir de modèle de retour.
Et si par ailleurs, les réseaux contemporains et la voiture l’ont reléguée dans les oubliettes, il est temps de concevoir ces réseaux dans son sous-sol avec un mode de déplacement multimodal en métro, en tunnel express avec des sorties ou bouches en surface sur les Sahats ou places publiques…
De même, les bâtiments commerciaux ou d’activités consommateurs de surfaces peuvent se loger aussi dans son sous-sol avec bouches d’aération et de sorties en surface, etc…
Ainsi, naîtra la troisième ville Marocaine comme forme d’hybridation entre le tissus traditionnel type Médina et les réseaux divers contemporains, ceinturés d’enceintes ou de murailles habitées…
Les motifs géométriques et les symboles de la médina
1. L’enceinte, la muraille et la porte de ville
Elles étaient jadis des signes symbolisant la ville ; un élément séparateur de la culture du dedans et des dangers du dehors.
C’étaient des structures fondamentales qui permettaient de clore, de limiter, de qualifier, d’identifier et de nommer un espace homogène.
En conférant aux citadins des repères de reconnaissance et d’appartenance à une communauté territoriale et sociale bien définie, ces monuments manifestent l’identité locale. Ils marquent ce qui fait passage d’un espace à un autre et d’un quartier à un autre.
Les revendiquer aujourd’hui sous une autre forme contemporaine, c’est faire de l’urbanité en reconnaissant aux lieux le droit à la différence, sans tomber dans le pittoresque et le nostalgique.
Aujourd’hui, outre le problème de défense, leur raison d’être – qu’elle relève de la tradition formelle ou informelle – est l’identification et la reconnaissance des lieux.
Depuis que les murs d’enceinte ne sont plus nécessaires pour la défense de la ville, les portails n’ont plus de situation précise ; ils sont devenus symboliques.
La porte n’est plus cette ouverture dans le mur, mais représente ce point isolé dans le paysage le long de la perspective fuyante de la route.
Elle est visible quand on roule sur la grande voie d’accès et lorsqu’on traverse la ville.
Nous assistons actuellement à l’éclatement des villes sous forme de nébuleuses formant des agglomérations urbaines et, seules des pancartes définissent l’existence de la ville traversée.
2. La ville, un souvenir lointain et en voie de disparition
Aujourd’hui, la porte se trouve au centre et le centre est à la porte.
Les murs et ses portes ne sont plus autour mais dedans. Ainsi, la ville explose, en gérant de nouveaux paradoxes des lieux.
Pour aménager ces endroits, il faut recenser leurs lieux d’accueil à l’image de la porte mythique de la ville ancestrale exerçant encore la fonction symbolique décrite précédemment. De les renommer ensuite par commodité ou par déplacement de sens en places publiques, de réduire l’importance de l’automobile à ces endroits, de rendre leurs sites partageables par tous, de créer des lieux de vie et de rencontre, de favoriser leurs accès, etc.
Ainsi les portes, les murs et les axes qui les structurent, devront être soulignés par des aménagements spécifiques et des plantations valorisantes, mais également par une programmation urbaine insufflée par l’esprit de la ville paysagère.
Par ailleurs, la ville du XXIème siècle en marche aujourd’hui, basée sur l’économie infinie des ressources fossiles génère un mal être de ses usagers, et ce loin des préoccupations écologiques et planétaires.
En définitive, pour maintenir la cohérence du système urbain d’aujourd’hui, il faudrait revenir aux principes des villes closes, organiques et gérables par quartiers écologiques avec des entrées et des portes symboliques dans le paysage, ceci est afin de maintenir la cohérence de la vie urbaine et le vivre ensemble à échelle humaine dans l’enceinte de la ville et pour distinguer ce qui est urbain et de ce qui ne l’est pas, ce qu’est un lieux de ce qui ne l’est pas, etc.
Rachid Haouch, architecte, urbaniste et paysagiste dplg.
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